Thierry Brunello - Tous droits réservés.
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FRANCE

VIEUX NICE : Carrefours célestes

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Enfants, j’adorais accompagner mes parents dans le Vieux Nice. Le samedi, on s’enfonçait dans les ruelles étroites pour y acheter des produits qu’à l’époque on ne trouvait pas ailleurs : morue séchée, pecorino, olives pimentées, jambon de Parme, dattes, nougats…
Dans ce dédale compressé, les bruits avaient des échos particuliers. Tout au long de la rue Pairolière, les commerçants haranguaient le chaland de leur voix de ténor. S’y rajoutaient le cri des livreurs, le fracas des caisses entreposées, le marchandage des clients. Des cafés s’échappaient des chansons italiennes et nissartes, et par-dessus ce tohubohu planait le cri puissant du vitrier ambulant.
L'étal de chaque boutique donnait directement sur la rue. S’en échappait une cavalcade de senteurs : les rondes, celles du pain chaud aux olives, de la fougasse, des charcuteries, les plus piquantes, celles des herbes aromatiques et du hareng fumé, puis l'épice des muscades et la suavité des figues. Mais la plus caractéristique était celle de la socca. La socca bien poivrée. À l’angle de la rue Miralheti, l’odeur de la crêpe de maïs attirait irrésistiblement. La pause socca était l’événement de la balade. Je plongeais mes doigts dans le cornet de papier gras et m’y brûlais toujours, trop impatient d’y goûter.
Les rues étaient exiguës, les maisons hautes, et au milieu de la foule oppressante, je serrais la main de ma mère. Elle ne voulait pas me perdre.
De ma hauteur d’enfant, mon regard courait à la base des rues. C’était un no man’s land que le soleil ne touchait jamais. Là s’enracinaient les maisons hors d’âge dont le temps mordillait les fondements. Plus encore que le moyen-âge persistait l’âme plus ancienne encore de Rome dans les parements de pierre au coin des rues. Les soubassements de cette Nicae antique étaient plus obscurs et plus humides. Des égouts montaient les odeurs souterraines que malmenait un courant d'iode venu de la mer. J’étais à hauteur des effluves d’urine, des épluchures d’orange, de la course des souris, des flaques déjà croupies laissées par l’orage de la veille. Il y avait là quelque chose d’aussi morbide que fascinant.

Puis un passant, par son mouvement, déplaçait l'air, et de l'étal voisin un souffle d'agrume venait tout bouleverser.
Alors je levai la tête. Mon regard passait par-dessus la foule des adultes et montait jusqu’aux toits. Je découvrais alors d’autres rues, faites d’un bleu lumineux. C’était un tracé inaccessible, un canevas azur, réplique parfaite du labyrinthe que j’arpentais.

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